> NOVEL <
 
Entretien avec
Maurice G. Dantec
18 mars 1996

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Ce n’est pas le même résultat ?
Ah je ne crois pas, pas du tout. La France se dirige droit vers le mur. A mon avis, à l’horizon 2000, ça va être très grave. On fait croire aux gens depuis vingt-cinq ans que rien ne peux changer, que tout va bien. Tu vois Hervé Bourge, on a la meilleur télévision du monde, tu entends les politiques, nous avons les institutions les plus démocratiques du monde ; c’est le pays de cocagne, ici ! Franchement, de quoi on se plaindrait ? Mais quand on va se prendre le mur en pleine gueule, quand les pays de l’ASEAN vont nous doubler entre 2000 et 2010, ... Du coup, on aura le populisme, de l’ultra-gauche à l’extrême-droite, tout ce qui est anti-américain. En fait, je pense que Vichy n’a jamais été réglé. Et que dans tous les champs politiques, tu retrouve exactement la même vision de la société. Du parti communiste au front national. De Chevènement au RPR.
Vous ne votez plus, alors ?
Non, c’est terminé. C’est clair. 
Donc, vous aller partir aux Etats-Unis ?
Ouais. Enfin, au Canada. Au Canda francophone, j’aurai moins de barrières linguistiques. Je pense que le drame de l’Europe a été la destruction de l’Allemagne. Je pense même que ça a été une machination qui a été montée par la France et l’Angleterre pour des raisons historiques à l’époque. L’Allemagne n’a jamais pu accéder à la souveraineté politique auquelle elle a droit, tout ça justement à cause du nazisme, qui a été la pire chose qui ait pu survenir à l’Europe justement à cause de ça. Puisque depuis 45, l’Allemagne n’existe pas sur le plan politique.
Si on vous suit, il y aura l’Amérique du nord, les puissances asiatiques. Qu’est-ce qui va se passer en Europe ?
Je pense que si cette année il n’y a pas de dispositions réelles, et elles ne seront pas prises je le sais à l’avance, s’il n’y a pas un destin qui est donné aux peuples d’Europe, c’est-à-dire « Bon, on arrête de vous raconter des salades, il faut une entité fédérale, parce que c’est commeça », l’Europe ne se fera pas sur le plan de la politique internationale. Donc elle deviendra au mieux une sorte de région du marché global, au pire elle s’écroulera complètement dans une sorte de déclin économique et politique que je situe aux alentours des quinze premières années du prochain siècle.
Il se passera quoi pour les gens ?
La grosse merde. Où sont les politiques aujourd’hui, où sont les penseurs, les gens qui vont être capables de dire aux français « On s’excuse, on vous a bourré le mou pendant vingt-cinq ans, on reprend tout à zéro, on refait » ?
Pas de révolution civile ?
Avec Force Ouvrière ??
Que pensez-vous de l’extension du mouvement associatif ? Est-ce que ce n’est pas une solution, une force parallèle ?
Ce serait une solution si dans ce pays il y avait des relais, comme aux Etats-Unis justement, entre le mouvement associatif et le reste des institutions du pouvoir. Mais c’est pas du tout comme ça que ça se passe ici. En plus, il y a une course contre la montre. Pour moi, comme Paul Valéry, toutes les civilisations sont mortelles. L’Europe a dominé le monde pendant cinq siècles, et bien ça va être rideau, et d’autres vont arriver. Certainement l’Asie du sud-est, et probablement encore pour un bout de temps l’Amérique du nord. Et peut-être l’Amérique Latine, plus vite qu’on ne le pense.
Pour conclure, la fin du monde, vous n’y croyez pas pour tout de suite ?
Mais je crois qu’il y a déjà eu plusieurs fins du monde. Si Auschwitz c’est pas une sorte de fin du monde, faut qu’on me dise ce que c’est. Je crois qu’on est en train d’arriver à une forme de fin de l’humain. Ca veut dire fin de l’homo-sapiens, mais je suis un peu nitzschéen, je crois que l’homme c’est un pont entre le singe et le sur-homme. Oui, je pense que, comme Baudrillard le dit dans Les fragments cool-memories, on arrive à une fin de cycle, et que l’homme est le destructeur du cycle. Ca va être extrêmement violent, convulsif, comme le disait Breton. A mon avis, ça risque d’être assez intéressant à voir. 
Le 31 décembre 1999, vous avez réfléchi à ce que vous aimeriez faire ?
Non, je ne sais pas où je serai. Franchement, je ne me pose pas la question, justement, je trouve absurde de vouloir programmer à l’avance où je serai le 31 décembre 1999. Il y a des chances pour qu’on fasse un méga réveillon d’enfer avec une bande de potes hallucinés. Quand, certes, mais où, je ne sais pas. Je serai peut-être au bord du lac majeur, faut voir... Par provocation, j’aimerais presque en faire un réveillon normal. Mais en même temps, je sais que je le ferai pas. Il y a la pression.
Ca va peut-être mal tourner ?
Il n’y a pas de raison pour que le 31/99 l’histoire s’arrête. Il y aura sûrement des massacres ce jour là, des guerres, ... L’antarctique devrait encore être relativement tranquille, comme coin. Si ça se trouve, le meilleur plan à faire, c’est peut-être aller boire à moins 80° de la vodka là-bas à la station Vostok avec les russes de la station... (rires) 
Franchement, ce que j’aurais aimé, mais c’est inatteignable, c’est être dans une station spatiale. 
Est-ce qu’il y a quelque chose à explorer dans l’espace ?
C’est clair. L’humain n’est pas capable, aujourd’hui, de comprendre ça. Je pense qu’il y aura quelque chose après lui qui pourra prendre ça en charge. L’humain va servir de charnière. Quand il y aura une véritable colonisation spatiale de l’espace, l’humain va muter. A ce moment là arrivera le successeur. Qui nous en fera peut-être baver, parce que l’homo-sapiens-sapiens, avec néanderthal, il a été asssez peu cool. Même si on sait qu’il y a eu cohabitation à un moment. On croit que l’évolution c’est des chaînons qui se suivent ; quelque chose de sécable, comme du digital. C’est pas le cas.
 

F I N


 
 
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Photo : J.Sassier / La Spirale
 

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