Entretien avec Maurice G. Dantec 18 mars 1996
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J’ai lu : « Maurice Dantec, auteur cyber-noir », ou encore « Les Racines du Mal, neuro-polar ». Vous vous reconnaissez là-dedans ?
Les gens de Chambery avaient voulu faire un truc autour de mon bouquin. Ils voulaient un intitulé. Il se trouve que moi, un peu pour déconner, et en faisant référence au néo-polar français des années 70, je me suis dit bien tient pourquoi pas neuro-polar ? C’était pour épondre à une demande très précise. Je ne pensais pas lancer une étiquette ! Cyber-noir, ce n’est pas complètement faux non plus. C’est un peu limitatif, mais bon... Les journalistes n’ont pas 700 pages pour s’exprimer, eux. Ils ont deux colonnes !Je vous avais vu à la télé, lors de l’émission Nulle Part Ailleurs, et j’avais trouvé les question non-pertinentes. J’étais surpris de voir qu’ayant écrit un bouquin de près de 700 pages, on ne vous laissait pas le temps de vous exprimer. C’est la télé, c’est tout. C’est un média qui a ses règles, ses impératifs, ses contraintes, ... Moi, je suis très pragmatique, par rapport aux média. Je pense qu’on peut avoir plusieurs attitudes saines. Il y a l’attitude situationniste genre Debord, c’est pas d’image ; c’est une attitude extrêmiste mais qui se comprend. Puis il y a l’attitude de ma génération qui est plus pragmatique. Après tout, je paye mes impôts, la redevance ; je consomme moi aussi de la télévision, de la publicité. Je ne vois pas pourquoi, quand on m’invite à une émission, je devrais décliner la chose. Après, c’est toute une stratégie pour garder ton intégrité et ne pas devenir uniquement une image télévisuelle. C’est la guerre quotidienne qu’on doit mener avec les média. Ce sont des outils complexes, très puissants, qu’il faut apprivoiser. Je pense qu’un écrivain du 21 ème siècle, enfin en tout cas des années 90, peut difficilement se passer de la télé. Ou alors, si. J’ai autre métier à côté, et la littérature est un hobbie. Mais moi j’ai besoin de croûter. J’ai besoin que mes bouquins se vendent, parce que j’ai une femme, un petit bébé, un appartement à louer et c’est pas Gallimard qui me paye mes appartements à Saint-Germain (Maurice Dantec habite à Vitry-sur-Seine - ndlr).Qu’avez-vous ressenti en sortant de l’émission Nulle Part Ailleurs ? Il faut voir que j’étais dans un état un peu spécial. Si tu veux, j’étais barré. Après on a terminé l’émission avec Moss de Démocrate D., le rapper qui était venu faire la météo, et une bande de mecs. On a déliré toute la nuit. On s’est bitûré la tronche convenablement...Parlons technologie. Dans Là où tombent les anges, Dakota met en panne tout l’électro-nucléaire de France. Dans Les Racines du Mal, c’est la neuro-matrice qui provoque un effet EMP, paralysant tout le pays pendant plusieurs jours. C’est un truc qui vous fait flipper, la possibilité de tout faire disjoncter en un clin d’oeil ? Ah non ! Ca me fait marrer ! Ca m’excite beaucoup ! Après que j’ai écris Les Racines du Mal, je me rappelle, j’avais lu un long papier de Paul Virilio, dans Le Monde, je crois, dans lequel il parlait de l’accident global. Il faisait presque une sorte de prophétie, c’était très marrant. Il disait que l’accident global était imprévisible par nature, puisque c’est le chaos et que le chaos par définition est imprévisible, à cause des changements d’échelle, mais il dit « Ca va arriver ». Parce que justement on est dans la phase nécessaire pour que ça arrive. Et moi j’avais fini le bouquin. Et je me suis dit « C’est marrant que des philosophes, qui eux aussi sont un peu dans leur univers, comme nous les écrivains, disent des trucs comme ça ! ». Moi ça m’excite, parce que ça veut dire que c’est toujours l’histoire, le chaos humain, et peut-être le chaos métaphysique aussi, qui est là au travail, et qui fait que toutes les créations humaines nous dépassent. C’est vital pour l’humain. Je pense aussi que les technologies de destruction massive vont s’individualiser. Il n’y a pas d’autre issue. Faut pas essayer de me dealer un monde où il y aura douze milliards d’habitants et tout le monde se fera smack-smack en descendant l’escalier... Pareil pour un futur radieux grâce à la communication entre les hommes, comme en parle Joël de Rosney. Pour Pierre Lévy, par exemple, je pense qu’il devrait moduler ce qu’il pense par rapport à la réalité de l’humanité. Car l’histoire continue. L’homme est toujours là. Ses pulsions les plus ancrées seront toujours là. Pour autant, je me refuse à tout catastrophisme anti-technologique. J’adore Internet et tout ça, c’est super, génial ; franchement, je le dis. Mais il ne faut pas me faire rire, ça ne va être qu’un nouveau territoire où l’histoire va s’exprimer. Les passions, le mal, le bien, le crime, le sang, le viol, tout ce que tu veux.Mais l’histoire comme quelque chose de cyclique ? Alors là, non, je ne suis pas tout à fait d’accord. Je ne crois pas à un progrès linéaire, car il y a des phases énormes de régression dans l’humanité. Il y a un progrès qu’on va appeler chaotique. Mais je pense que ce n’est pas vrai de dire que l’on apprends jamais rien non plus. Mais en même temp, plus on apprend et plus on sait, et plus on comprend que l’univers est tellement vaste et complexe, qu’en fait de compte on ne sait rien. Tout ça, c’est le 20 ème siècle, c’est la quête du sens. C’est comment certains philosophes en sont arrivé à l’existentialisme pessimiste-nihiliste, avec lequel je ne me sens pas du tout en osmose.Votre discours est tout de même très marqué ! Théories eugénistes... Ah non, je ne suis pas eugéniste ! Attention ! Je crois au darwinisme parce que je crois qu’on fait partie du règne animal, et qu’on fait partie du cosmos. C’est carrément une vision mystique. On est pas de purs esprits ! Il y a eu Freud, ça fait presque un siècle, quand même, et on a pas encore intégré ça. Ca me semble hallucinant. Freud, ou Sade ! |