Entretien avec Maurice G. Dantec 18 mars 1996
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Quelle est la limite ?
Justement, la limite, j’essaye de la montrer. Je dis bien, j’essaye. La limite, il me semble que c’est quand l’homme se retourne contre ça. D’où le phénomène des sectes, les tueurs en série, qui se considèrent souvent comme des sortes de nettoyeurs ultimes.C’est Schaltzmann. Ouais, mais en même temps, Schaltzmann est porteur d’une vérité totale sur le monde. Lui, ce n’est pas comme le club des Ténèbres. Dans la littérature sur les pathologies criminelles, on a tendance un peu à dire n’importe quoi, et à tout mélanger. Pour moi, le criminel psychotique, c’est-à-dire celui dont la psychose est originelle et le crime la conséquence, est exactement l’inverse que le tueur en série froid et organisé dont le crime est constitutif et la psychose éventuellement une conséquence. La psychose, c’est autre chose que la régulation froide de ses pulsions au travers d’une activité régulière, programmée, sécuritaire, c’est-à-dire planifiée, où on cherche à se protéger. Les mecs comme Schaltzmann, en quinze jours, ils vont tuer dix personnes, et ne vont pas essayer d’effacer les indices. Ils sont ailleurs ; ils expriment autre chose. Le tueur en série froid et organisé, c’est l’homme du 20 ème siècle.Là, on revient au robot de Wilson. Voilà, exactement.Dans Les Racines su Mal, j’ai essayé de montrer comment Schaltzmann, qui commet des crimes abominables n’est pourtant pas à mettre dans le même panier que les Tueurs des Ténèbres. C’est pas seulement une question de quantité.On voit ça avec le tueur de Seven, aussi Tout à fait. Tous les tueurs de ce type sont comme ça.Les tueurs en séries sont un phénomène récent ? C’est ce que la France prétend, mais moi je prétends le contraire. Je dis qu’il y a aujourd’hui en France des tueurs en série en activité, j’en ai quasiment la preuve. En France, on dira qu’il s’agit de cas exceptionnels. C’est faux. La seule différence avec les Etats-Unis, c’est que là-bas, ça fait trente ans qu’on a mis en place des structures fédérales qui les trouvent. Donc évidemment, il y en a plus ! Tout leur système de documentation et d’analyse, que je décris un peu dans le bouquin, qui est un système policier, je ne dis pas le contraire, a au moins le mérite d’être performant. Tandis qu’en France, aujourd’hui il y a quelques flics qui commencent à se douter que ça existe dans ce beau pays de Cocagne. Mais t’en aurais parlé il y a cinq ans, on te traitait de dingue. Il y a des cas très précis, il ya des disparitions inexpliqués sur tout un tas de routes en France, des meurtres pas compris, ... Ca fait des années que je m’intéresse à ça. Ce qui m’intéresse, c’est ce qui est caché, ce qu’on ne veut pas dire. Dans la criminalité, je ne me suis pas attaché aux braqueurs de banque, voire même à la petite délinquance juvénile, non pas que ce soit pas mon truc, mais moi je m’intéresse à ce qui pour le moment est encore tapi dans l’ombre. Je montre comment les flics sont incapables d’élucider ça. C’est bien ce qui arrive à Darquandier. Il essaye de leur montrer que Schaltzmann n’est pas coupable, qu’il y a quelque chose de plus froid et méthodique derrière, et on lui dit non, non, on a un coupable, arrêtez c’est bon. Les cons sont partout. On considère qu’il n’y a pas de tueurs en série en France, enfin si, on en a trouvé deux-trois, mais on a dit que de toute façon ils tuaient pour l’argent... Un jour, je pense que ce qu’il se passera, c’est que quand on aura quelque chose qui ressemblera à ce que je décris, peut-être qu’ils vont se réveiller !Parce que vous pensez que ça va arriver ? Forcément, mais moi j’écris une fiction. Je me suis dit, essayons d’imaginer le pire. Et encore, quand j’ai fini le bouquin, deux mois plus tard, il y avait le Temple Solaire. Deux mois plus tard ! Donc c’est relatif, le pire.A la fin des Racines du Mal, Darquandier est 20 ans plus tard, et s’aperçoit qu’il y a encore des tueurs en série. Bien sûr, oui. C’est exactement ce que je veux montrer. L’histoire ne s’arrêtera pas, il ne faut pas rêver ! Tout ce que les idéologies du 19 ème et du 20 ème siècle ont essayé de nous faire croire c’est qu’on allait un jour rentrer dans un monde radieux où l’histoire s’arrêterait et les humains seraient bons et gentils. Plus personne ne pourra me dealer quelque chose comme ça !Ca n’évolue pas de pire en pire, alors. Non, c’est l’histoire qui continue. Alors, évidemment, la prolifération des technologies va changer aussi la nature du problème... Ca va devenir plus sérieux. Si les technologies de destruction massive se démocratisent, ce que je pense, on va commencer à rigoler. |